Les fourneaux économiques

 
Nous sommes sous le Second Empire, beaucoup de paysans viennent chercher du travail en ville et la misère règne dans bien des communes. Face à cette détresse l'Empereur Napoléon III et l'Impératrice Eugénie décident de relancer les Fourneaux économiques, l'équivalent de nos "Restos du coeur".
L'idée date de la fin du XVIIIe siècle sous le règne de Louis XVI. Cette initiative a été reprise au début du XIXe siècle par la Société de Saint-Vincent-de-Paul à Paris. C'est en 1855 que le préfet Pietri fit ouvrir, dans la capitale et en banlieue, de nombreux fourneaux. On estime qu'en 1856, ils ont vu passer 25000 demandeurs. Il y avait des portions de bouillon, de viande, de riz ou de haricots à consommer sur place ou à emporter et chaque portion coutait 5 centimes ce qui correspondrait, selon certaines estimations, à 15 ou 16 centimes d'euro.
C'est en février 1857 que le Préfet de la Loire, M. Thuillier, décide d'en installer à Saint-Étienne car à cette période il y a en plus une crise de la soie et du ruban ce qui a mis au chômage de nombreux ouvriers de ce secteur.
La Société d'agriculture, sciences, arts et belles-lettres avait ouvert une souscription dans le but de créer une institution alimentaire qui n'a jamais vu le jour. Le Préfet demande à cette société de bien vouloir reverser les fonds sur ce que seront les Fourneaux économiques.
Sans tarder, le maire, Christophe Faure-Belon, délègue un de ses adjoints, M. Bougy, ainsi qu'un conseiller municipal, M. Philip-Thiollière pour constituer un comité de gestion avec trois membres de la Société d'agriculture, MM. Bayon, d'Albigny et Théolier aîné. M. Bougy est rapidement nommé président du comité et M. Philip-Thiollière, trésorier.
Le service, confié aux soeurs de Saint-Vincent-de-Paul, doit ouvrir dans la première huitaine du mois de février pour les paroisses de Saint-Ennemond et Sainte-Marie, un troisième fourneau devrait ouvrir un peu plus à Saint-Roch si les finances le permettent.
Ceci n'est pas sans inquiéter les petits restaurateurs locaux qui protestent.
La première ouverture a lieu, pour la paroisse Saint-Ennemond, dans l'école de filles rue Descours le lundi 9 février. En moins d'une heure, il a été distribué 4200 portions de pommes de terre, haricots, riz ou bouillon ainsi que 400 portions de viande. Des bons de 5 centimes, prix de la portion, sont achetés par des personnes charitables et distribués gratuitement aux familles les plus pauvres. Quelques jours plus tard ouvre le fourneau de la paroisse Sainte-Marie.
Au 15 avril ce sont 53714 portions qui ont été distribuées dans les deux établissements qui fermeront leurs portes pour cette campagne de l'hiver 1856-57 le 30 avril.


Exemple de jeton ici distribué à Roanne

La campagne de l'hiver 1857-58 s'ouvre le lundi 16 novembre avec trois points de distribution, rue Descours pour la paroisse de Saint-Ennemond, rue Royale pour Sainte-Marie et rue du Vernay pour Saint-Roch. L'accueil se fait tous les jours de 10h 30 à 13h. S'ouvriront également des lieux de distribution au Soleil et à Montaud et tous fermeront cette année le 31 mai.

Ainsi, chaque année, ouvriront les lieux de distribution de Saint-Ennemond et de Sainte-Marie pendant les hivers. Les autres lieux ouvraient de manière plus aléatoire jusqu'à disparaître.
Outre l'achat de bons de nécessité destinés à être distribués gratuitement, des dons en nature sont aussi faits aux fourneaux économiques, par exemple en décembre 1865, M. Houpeur directeur des mines de la Loire leur fournit 8 tonnes de charbon et M. Locard directeur des mines de Beaubrun 2 tonnes.

En 1867, M. Tiblier-Verne, conseiller municipal et qui sera maire plus tard, émet le voeu qu'une commision soit formée pour contrôler voire modifier et améliorer les fourneaux économiques. Le maire, Benoît Charvet nomme MM. Tiblier, Rimaud et Grosrenaud. Cette commission découvre des lacunes dans les archives, une absence de comptabilité et un déficit croissant que comble la mairie sans contrôle. Notant qu'il ne reste plus que deux fourneaux et que les autres ont fermé par manque de fréquentation, la commission ne les juge guère utiles et note que certains profitent à la fois de ce service et du bureau de bienfaisance en s'abstenant de travailler tandis que d'autres, qui travaillent, ne souhaitent pas y être vus.
Le maire, Benoît Charvet, se lance dans la défense de cette institution en indiquant que depuis son arrivée en 1866, la comptabilité a été reprise en main, qu'il estime bien utiles les fourneaux économiques compte-tenu de la misère et que, comme il ne souhaite pas voir disparaître cette oeuvre, il demande que la dépense soit inscrite au budget. La fermeture temporaire est cependant votée en attendant que soit mis fin à certains abus comme la revente des jetons distribués gratuitement.
Cette fermeture temporaire va durer et, dans les années qui suivent, si cette institution fonctionne encore dans bien d'autres villes notamment à Paris où des souscriptions sont bien alimentées, elle ne réouvre pas à Saint-Étienne. Le matériel entreposé dans le sous-sol de l'école rue Descours est d'ailleurs vendu aux enchères le 28 mai 1881.
Ce n'est que le 6 janvier 1885 que, dans un contexte de crise industrielle, va ouvrir à nouveau un fourneau économique grâce à des oeuvres catholiques et aux soeurs de Saint-Vincent-de-Paul au 30 de la rue des Jardins (rue Michel Rondet). Un deuxième point de distribution est situé place Fourneyron.

On retrouve dans la presse des dates d'ouverture et de fermeture du point de distribution de la rue des Jardins en 1886 et plus rien ensuite pour Saint-Étienne alors que les fourneaux continuent à fonctionner à Roanne notamment. Peut-être ont-ils continué à fonctionner sans que la presse en fasse écho ? On retrouve une ouverture programmée à Montaud pour le 27 janvier 1908 ainsi que trois ouvertures à Montaud, Saint-Roch et Outre-Furan en 1909. Il semble qu'ensuite cette oeuvre ait disparu et, même s'il y a eu des demandes, elles ne semblent pas avoir abouti y compris pendant la guerre de 14-18.
Il faut dire que dès 1895 on commence à parler des Soupes populaires ouvertes notamment aux grévistes. À partir de 1900, le Comité stéphanois de la Ligue fraternelle des Enfants de France organise des distributions gratuites dans divers quartiers. Les Soupes populaires auront donc fait disparaître les Fourneaux économiques.

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