L'histoire du bar du Mal-Assis

 
Après quelques années de fermeture le bar du Mal-Assis a renoué avec le succès plus d'un siècle après sa création. Situé à l'angle de l'avenue de la Libération et de la rue Élise Gervais il a ravi des générations de stéphanois. C'est donc une longue histoire dont nous allons tenter de lever les mystères des premières années.


L'intérieur en 1904, souce Delcampe

Si, sur la photo de la médiathèque de Saint-Étienne, on voit bien le nom de l'exploitant, Auguste Vacher, encore faut-il dater l'image. Une première indication, l'immeuble a été construit en 1901 par l'architecte Eugène Ligonet. On voit aussi un tramway à vapeur, la ligne ayant été électrifiée en 1907 on a donc une autre référence.

Dans le lointain, on aperçoit, sur la colline Sainte-Barbe, l'église de Notre-Dame du Bon Secours et la Grande Croix de mission récemment érigée.

Qui était Auguste Vacher ?

Ce patronyme est très fréquent dans la région, c'est donc un article du Mémorial de la Loire et de la Haute-Loire du 18 octobre 1911 qui donne le départ de l'enquête. Il relate un drame sur lequel nous reviendrons qui révèle en 1911 le nom du tenancier du "Mal-Assis", Johannès Vacher.
Comme l'article relate le décès de son épouse, l'état-civil complète nos informations. Dans l'acte du 17 octobre 1911 nous apprenons que la défunte s'appelle Marie Lucie Bourset (et non Rousset comme l'écrit le journal), qu'elle était cafetière et épouse de Jean Vacher (et non Johannès qui était probablement son prénom d'usage) cafetier 51 avenue Président Faure (notre avenue de la Libération).

Ce couple s'était marié à Saint-Étienne le 17 août 1905 et les parents de l'époux étaient Auguste Vacher et Marie Villemagne. Jean Vacher était alors éditeur 53 rue d'Annonay et les parents épiciers 114 rue de Lyon, notre rue Élise Gervais aujourd'hui. Le 114 n'existe plus mais il pourrait très bien être le dernier numéro de la rue correspondant au 51 de l'avenue du Président Faure.

L'affaire s'embrouille un peu plus si nous remontons dans le temps. Marie Villemagne meurt le 23 août 1906 à l'âge de 47 ans, Auguste Vacher est alors épicier mais 19 avenue Président Faure et son fils Jean cafetier 53 rue d'Annonay, notre rue des Docteurs Charcot.

La situation est inchangée lorsqu'Auguste, prénommé alors Augustin, se remarie avec Delphine Bénédicte Lamartine le 31 octobre 1906. Le décès prématuré de l'épouse et le peu de temps entre cet événement et le remariage posent question et ce n'est pas le comportement du fils, comme nous le verrons, qui est de nature à nous rassurer.

À la naissance du deuxième enfant du couple Vacher - Villemagne, Auguste Jean le 8 janvier 1890, le père et la mère sont épiciers 6 place Fourneyron. Enfin pour la naissance du premier enfant, Jean, le 11 mars 1876 ainsi que pour leur mariage le 28 décembre 1874 Auguste est armurier.

Malgré tout ces changements d'adresse et de profession la réponse à nos interrogations trouve dans le Mémorial de la Loire et de la Haute-Loire du 28 janvier 1902 avec cette publicité pour le bar‑musée, c'est donc dès la construction de l'immeuble qu'Auguste Vacher a ouvert cet établissement qui était aussi une épicerie appelée parfois Grande épicerie du lycée.

On pouvait y commander "un Vacher", le manque de précision ne nous permet pas de savoir ce que c'était. Une boisson probablement, un cocktail peut-être.
On pouvait aussi y voir quelques tableaux et oeuvres d'art de piètre qualité.

Les aventures tragiques de Jean Vacher

L'article du Mémorial de la Loire et de la Haute-Loire du 18 octobre 1911 déjà cité, relate le décès peu banal de Marie Lucie Bourset épouse de Jean (ou Johannès) Vacher. Des bruits de meurtre ont couru mais la police a conclu à une mort due à l'alcoolisme chronique. Cette femme avait pour habitude de cuver son vin dans un réduit proche de sa cuisine, c'est là que le mari l'a enfermée dans l'après-midi afin qu'elle ne vienne pas perturber les clients. Jean vint la voir vers 20 heures puis de nouveau vers minuit et ne trouva rien de suspect. C'est donc à son lever à 5 heures du matin que le mari se rendit compte de la mort de sa femme.
L'examen du docteur Mossé ainsi que l'autopsie ne permirent pas d'envisager autre chose qu'une mort naturelle par asphyxie liée à la fois au faible volume d'air de la pièce et à l'application du visage contre le matelas. Bien que toujours suspecté par les voisins, Jean Vacher bénéficia donc d'un non-lieu.

C'est bien cette fois-ci un meurtre dont se rendit coupable Jean Vacher sur la personne de sa bonne Marie Louise Maindive, 21 ans, le 21 mai 1912. Il a également blessé Jules Peillon son garçon de bar. Les deux employés avaient décidé de quitter l'établissement et étaient venus encaisser le solde de leurs émoluments lorsque le ton monta en présence d'au moins un témoin. Vacher sortit un révolver et tira deux fois dans la poitrine de Marie Maindive et une troisième sur Jules Peillon, tuant la bonne sur le coup et blessant le garçon de bar.
Le meurtrier s'enfuit et sera retrouvé dans un bar de Roche-la-Molière seulement le 28 mai. Arrêté sans violence il sort de sa poche un papier qu'il appelle son testament dans lequel, dans une prose peu compréhensible, il exprime le souhait de se suicider. Il est incarcéré à la prison de Bellevue.

Rapidement jugé par la cours d'assise de Montbrison, il est condamné, le 5 août 1912, à cinq ans de réclusion et 500 F de dommages-intérêts à la partie civile. Pour sa défense il avait dit que sa bonne usait de ses charmes et qu'il craignait qu'elle lui fasse du chantage. Quel genre de chantage ? Certains journaux présentent Marie Maindive comme la maîtresse de Vacher. Voulait-elle le quitter pour le garçon de salle qui lui aussi aurait été son amant ? Voulait-elle faire des révélations sur les troubles circonstances de la mort de son épouse l'année précédente ? Nul ne le sait car Vacher ne s'exprima pas sur le mobile du crime mais le verdict clément pose question. L'avocat de la défense, Georges Teissier plaida l'irresponsabilité en raison des malheurs éprouvés par l'accusé.
Le journal Le Matin ne s'embarrasse pas de conditionnel pour raconter l'affaire comme le montre l'extrait ci-dessous.

Le livret militaire apporte d'autres précisions. Jean Vacher a obtenu une libération conditionnelle le 31 mai 1916 pour être rappelé par l'armée. Démobilisé le 7 février 1919, on le retrouve dans le Puy-de-Dôme, à Riom en 1919, à Chamalières en 1922 et à Clermont-Ferrand en 1925. C'est là qu'il se remarie avec Jeanne Geille le 4 septembre 1926 pour divorcer le 19 décembre 1940.

On n'entendra plus parler de lui jusqu'à son décès à Clermont-Ferrand le 24 septembre 1947.

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